Mais, 68

Que retiendra la Haute-Marne de cette 19e semaine tandis que partout, sur tous les écrans, dans tous les magazines, les meilleures plumes célèbrent les 50 ans de mai 68. Ne manquez surtout pas l’énorme et passionnant travail de Thomas Bougueliane dans le Mag très spécial qui accompagne ce journal. Un collector. La photo de couverture des adolescents chaumontais assis devant le Parisien est bavarde. Non pas pour ce qu’elle nous montre ; davantage pour ce qu’elle nous apprend. Car il serait facile de les reprendre un par un pour aller voir ce qu’ils sont devenus, ces gamins qui ont maintenant 70 ans. Toujours militants d’une juste cause ? Retraités prospères avec villa sur la côte ?
Pour nombre de commentateurs, mai 68 semble avoir été une fête, une parenthèse joyeuse de liberté inouïe, l’époque de tous les possibles, de toutes les heureuses audaces.
Ce fut tout cela.
Ce ne fut pas que cela. Les gens de peu, sans diplôme, sans promesse d’héritage, sans perspective de carrière, ceux qu’on ne prenait pas en photo, qui ne prenaient pas la parole, ont eu aussi leur mai 68. Loin de la Sorbonne ou de la terrasse du Parisien, dans les cités ouvrières de Haute-Marne, par exemple.
Mon père était un « camarade syndiqué » à Saint-Dizier. Ouvrier maçon, il avait quatre enfants en bas âge, et une femme, qui les élevait. Il était farouchement pour la grève. Il avait ses raisons. L’aîné de la fratrie que j’étais voyait notre mère pleurer. Et le supplier d’arrêter. Elle n’avait plus rien à mettre dans la marmite.
Elle aussi avait ses raisons.
Il y a toujours plusieurs façons d’observer, de juger quelque chose ou quelqu’un. C’est ce que je me dis encore, 50 ans après, lorsque je saisis laborieusement la plume.

Chronique parue dans la rubrique “D’une semaine à l’autre” du JHM dimanche 13 mai 2018.

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